Qui a tué mon père - Édouard Louis (2018)

Qui a tué mon père - Édouard Louis (2018)

Bonjour à tous ! Il y a quelques semaines, j’ai été contacté par une blogueuse américaine amatrice de littérature française, pour me proposer une lecture commune et un échange écrit sur celle-ci. Curieux, j’ai accepté. Elle m’a dit qu’elle aimait beaucoup Édouard Louis et notre choix est donc tombé sur « Qui a tué mon père ».

Je l’ai donc lu et nous avons pris le temps d’en discuter. J’espère que ce format un peu particulier vous plaira, n’hésitez pas à me dire ce que vous en pensez ! Vous trouverez peut-être quelques maladresses dans les choix de mots d’Olivia que j’ai décidé de ne pas corriger pour plus d’authenticité. Néanmoins, son français m’impressionne. Trêve de bavardage, place à notre discussion.

OLIVIA : Bonjour Martin ! Tout d’abord, est-ce que tu peux partager tes impressions de Qui a tué mon père pour tout le monde ?

MARTIN : Bien sûr ! Tout d’abord merci de m’avoir proposé ce partenariat, c’est la première fois que je co-écris un article, c’est une expérience très ludique et intéressante. Pour me présenter en deux mots, comme tu l’as dit: je m’appelle Martin et je suis le propriétaire du blog “La nuit sera mots”, que j’ai lancé en août 2019.

À propos du livre : j’ai adoré. Je trouve que c’est un bel exemple de comment l’on peut dire beaucoup en écrivant peu. Le style est net, précis, incisif. Edouard Louis n’hésite pas à taper là où cela fait mal. Un livre court donc, mais tout sauf léger.

C’est drôle, car malgré le titre, qui cherche clairement un coupable, je n’ai pas lu le livre comme un ouvrage vindicatif. Au contraire, il m’a plutôt laissé l’impression d’une lamentation sur une relation filiale qui n’a jamais eu lieu. La recherche du coupable est pour moi très effacée par la tristesse du narrateur.

OLIVIA : Bien dit, Martin. Parlons de l’audace du livre. Étant donné que Louis met le feu à l’absence de son père— c’est effectivement son but en répondant « aux exigences de la nécessité et de l’urgence, à celle du feu » (23)— on a peut-être honte de participer à cette confession d’un fils en opposition avec son père. Ce texte est-il une fenêtre sur un rapport familial entre le père inexistant et le fils incompris ? Ou, est-ce que nous, les lecteurs/lectrices, sommes censés recevoir ce texte comme une lettre d’amour adressée au père de Louis comme l’avait proposé The Guardian ? Et sommes-nous les témoins de leur rapprochement ?

MARTIN: Alors, je ne pense pas qu’il y ait lieu d’éprouver aucune forme de honte en lisant un livre. Dès le moment où l’auteur décide de poser ses tourments sur papier, c’est qu’il veut/a besoin d’en parler et de s’exprimer. Son père, par contre, peut éventuellement ressentir une forme de honte. Cela dit, le débat de la littérature sur la famille est encore une autre question. Tout roman autobiographique dérangera quelqu’un dès lors qu’il met en jeu des amis et des membres de la famille, et que ceux-ci ont soit mal agit, soit ne sont pas contents avec la manière dont l’on parle d’eux.

Je pense que ce livre est le cri d’un fils qui n’a pas pu partager tout l’amour qu’il voulait avec son père. Une lettre d’amour qui lui dit “J’ai tout fait pour t’aimer et te rendre fier papa, mais toi, tu ne voulais pas, ou tu n’arrivais pas”. Comme disait Marguerite Duras : “Écrire, c’est crier en silence”, et je pense que c’est exactement ce à quoi nous assistons dans ce roman.

Somme-nous témoins de leur rapprochement ? Malheureusement, je ne crois pas. Le vrai côté tragique du livre réside ici: ce n’est pas simplement Edouard et son père qui sont séparés. C’est l’Edouard enfant qui est seul. On ne peut sauver son enfance, elle est déjà derrière lui. Penses-tu qu’ils se rapprochent vraiment ?

OLIVIA: Écrire un roman autobiographique, c’est ne pas avoir peur de se laisser s’ouvrir à la vérité de notre existence. Sur cela, je suis d’accord. Ah, ma sœur d'âme, Marguerite. Quelle beauté et simplicité en si peu de mots. Pour répondre à ta question, je relate ce que Louis partage après la publication de ce livre lors de son entretien chez La Grande Librairie : « Mon père est quelqu’un qui après la publication de mes livres a appris une sorte de dialogue. Je ne parle pas pour lui, mais je pense que mon père à commencer à se penser autrement, en fait  » (11:41). Si Louis comble la distance entre lui et son père, ce sera à cause du discours provoquant leur communication. Pour moi, ils se rapprochent grâce au livre.

Passant à autre chose, selon toi, puisque tu vis en Europe, est-ce que ce livre met en accusation les anciens présidents français selon leurs défauts vis-à-vis de la classe ouvrière ? Comment les lecteurs/lectrices en dehors de l’Europe peuvent-ils réconcilier avec les actions malhonnêtes du gouvernement (les dominants) contre les prétendus fainéants (les dominés) ?

MARTIN: Alors une chose qu’il faut savoir, c’est que malgré l’Union Européenne, l’Europe est très fragmentée. Chaque pays a sa culture, son gouvernement, ses politiques intérieurs et ses scandales. Étant suisse et non pas français, je n’ai pas vraiment pu témoigner de la colère de la classe moyenne et de la classe défavorisée française face à leur gouvernement.

Ce que je sais, c’est que l’on accuse souvent les Français d’être râleurs et fainéants. C’est vrai pour certains, mais pas plus que dans d’autres pays. Je pourrais me lancer dans une longue explication avec plein de théories sur ce qui ne va pas en France et sur l’histoire de ces querelles, mais ce serait bien trop long. Dans ce livre en tout cas est mis en scène non pas un fainéant, mais une réelle victime, que le système n’aide pas. Je dirais que le livre dénonce un système qui n’a pas l’efficacité adéquate pour aider chacun de ses citoyens avec les mesures adaptées.

OLIVIA: Ce que Louis raconte sur sa jeunesse correspond à certains moments pendant ma vie. J’encourage une lecture de Qui a tué mon père à tout le monde, parce que les thèmes abordés ne sont pas exclusifs aux opprimés. C’est une déclaration sulfureuse, la dénonciation d’un pouvoir politique qui n’a pas pleine conscience des effets de leurs décisions. Je ne considère pas Louis comme un provocateur, mais je me demande comment il aboutit à raconter l’histoire de son père même s'ils n’ont pas eu une bonne relation. Est-ce que c’est imaginable qu’un enfant narrate dûment la vie d’un parent ? Qu’en penses-tu Martin ?

MARTIN: Je pense que c’est un thème de la littérature qui revient souvent. Pour rester dans la littérature francophone, on y trouve déjà plein de livres qui parlent des parents, que ce soit la mère (la Promesse de l’Aube de Romain Gary, Le livre de ma mère d’Albert Cohen) ou du père (La Gloire de mon Père de Marcel Pagnol ou même l’Ogre de Jacques Chessex pour introduire un nom suisse). La relation peut être bonne ou mauvaise, conflictuelle ou non. Si dans Qui a tué mon père, nous assistons à une relation qui n’en est pas une, dans la Promesse de l’Aube, c'est une véritable histoire d’amour d’un fils et d’une mère.

OLIVIA: Il faut que j’aille chercher tes recommandations ! Je voudrais te remercier Martin. On s’est bien amusés pendant cette discussion ! J'espère qu’elle plaira à nos lecteurs/lectrices. Je vais continuer à suivre tes chroniques sur ton blog La nuit sera mots. Belle lecture mes ami.e.s ! N'hésitez pas à me contacter pour parler des autres livres de Louis. Je craque sur sa plume !

MARTIN: Merci pour la proposition Olivia, à bientôt !

À propos des auteurs :

Olivia Walters a terminé sa licence de français il y a deux ans à l’université de Furman. Sa passion pour la littérature française l’a amené dans multiples lieux insolites : un salon de tatouage où elle s’est marquée d’un hommage à son auteur préféré Alain Mabanckou, une séance de dédicaces à New York en 2019 où elle a pu rencontrer Édouard Louis et finalement Amazon Prime, son dealer de livres français aux États-Unis.

Martin Boujol a toujours été fasciné par la littérature et les différentes manières d’écrire et de partager des histoires. Après quelques années comme journaliste économique et directeur marketing, il travaille aujourd’hui à plein temps pour son blog.


Éditions Points
150 pages