Le couteau, réflexions suite à une tentative d'assassinat – Salman Rushdie (2024)
Rappelons les faits. En 1988, Salman Rushdie publie son quatrième roman, Les Versets sataniques. Et quelques mois seulement après la parution de l’ouvrage, l'ayatollah Khomeini publie une fatwa de mort contre Rushdie – qui appelle à son assassinat pur et dur – en mettant en cause son œuvre, ce qui a forcé l'auteur à entrer dans la clandestinité. Cela voulait dire garde du corps jour et nuit, et tout ce qui va avec, du moins jusqu’à son départ aux États-Unis. La menace est on ne peut plus sérieuse : en 1991, le traducteur du livre en japonais, Hitoshi Igarashi, est poignardé à mort. Dix jours plus tard, c’est le traducteur italien du roman qui est tué au bout d’un couteau. La tête de Rushdie est mise à prix, trois millions de dollars pour qui le tuera.
C’est 34 ans plus tard, le 12 août 2022, que le couteau de l’ayatollah trouve le corps de Salman Rushdie. Lors d’une conférence à Chautauqua, un jeune homme de 24 ans saute sur l’estrade et assène 15 coups de couteau sur l’homme de 75 ans. C’est ici que commence notre récit.
Mais contre toute attente, Salman Rushdie survit à l’attaque, même s’il y perd un œil. Une chance que le jeune homme ne sache pas tuer avec une arme blanche.
Rushdie a eu besoin de trois choses pour surmonter cet événement. Premièrement, le passage du temps, ensuite, une thérapie, et finalement, et ce qui nous intéresse ici : de l’écrire.
Ceci donne à ce livre une véritable vocation d’exutoire. Comme le dit Rushdie : « Tant que je n’aurai pas affronté l’attaque, je ne pourrai rien écrire d’autre. »
C’est avant tout une histoire de résilience. L’homme a vécu un véritable traumatisme et s’en retrouve fortement secoué. Pour vous donner une idée de l’ampleur des dégâts : après quelques semaines, il devait être équipé de petites poches quand il marchait pour récupérer tous les liquides qui émanaient des différentes parties de son corps. Son œil manquant lui réduit sa vue de moitié, il manque le verre quand il se sert de l’eau, doit tourner la tête complètement pour voir à droite. Mais il refuse de se laisser abattre : « Ce qui ne peut être soigné doit être supporté ».
C’est un livre très honnête sur ses souffrances, il nous parle de ses séjours interminables à l’hôpital, de ses accès de folie et de désespoir, du fait qu’il ne se reconnaît plus dans le miroir : « Est-ce là le personnage dont je suis désormais prisonnier, ce demi-étranger borgne aux cheveux en bataille ? »
Ce qui reste critiquable, c’est que c’est un livre écrit avec très peu de recul sur la situation. Les réflexions philosophiques ne sont pas poussées, le dialogue imaginaire qu’il écrit avec son assassin est un peu faible. On regrettera aussi la longueur des passages à l’hôpital, qui transforment parfois le roman en une sorte de journal médical. Je vous encourage à les sauter.
Mais il y a un message à garder qui me tient à cœur, c’est que selon Rushdie, le respect de la religion est devenu « peur de la religion ». Il argumente que les idées religieuses, comme toutes les idées, demeurent des idées ou des manières de voir les choses, et doivent être traitées en tant que telles. C’est-à-dire qu’elles méritent aussi la critique, la satire, et parfois, l’irrévérence. Sa position sur cette critique permise reste ferme : « Si vous redoutez les conséquences de ce que vous dites, vous n’êtes pas libre. »
Est-ce que le couteau est un grand livre ? Non. Est-ce que je suis content de l’avoir lu ? Oui, quand même. Car c’est un épisode marquant, symptomatique d’une époque où la liberté d’expression est mise à mal. Et quand on utilise le meurtre pour punir des prises de parole et des idées, on sait que la catastrophe n’est pas loin.
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