Il n’y a pas de Ajar – Delphine Horvilleur (2022)
La question de l’identité est au cœur de l’œuvre et de la vie de Romain Gary. Tout au long de ses aventures, réelles ou contées – est-ce important ? – Gary est insaisissable. Il est lui-même multiple : émigré polonais, français, américain, grand écrivain, héros de guerre, diplomate, Don Juan. Même son nom d’emprunt, « Gary », veut en hébreu dire « l’étranger en moi ».
Et le sommet de sa lutte contre une identité unique et rigide a sans doute été la révélation du grand secret de la fin de sa carrière. Le romancier Émile Ajar, la nouvelle plume du moment, celui dont on disait qu’il n’avait rien à voir avec un Romain Gary qui commençait à fatiguer, n’était autre que… Romain Gary lui-même. Cela est encore plus embêtant, car il n’aura pas que berné les lecteurs et les critiques : il aura aussi bien eu l’Académie du Prix Goncourt, qui aura sans le savoir, remis deux fois le prestigieux prix à la même personne.
Dans ce court essai, Delphine Horvilleur utilise la figure de Romain Gary comme antidote au concept rigide de l’identité qui menace notre époque. Aujourd’hui, la pluralité se perd. On est soit catho, soit gay, soit végan, éventuellement arabe, parfois juif, noir, hétéro, blanc, pauvre, riche, malade. Cumuler les sois devient difficile. C’est une réelle crise identitaire que le monde traverse.
Cet essai nous rappelle que nous pouvons, comme Gary, être plusieurs en soi, et que ces plusieurs sont amenés à changer. On peut être parents, frère, peintre, poétesse, boulanger, sportif, jongleur, comédien, cuisinière, experte en littérature. Vous pouvez vous sentir juif, pied-noir, marseillais, grand, petit, jardinier, apicultrice, mère, fils, enseignant élève. Chaque être n’est qu’une addition de soi en constante transformation, ce qui défie le concept d’un moi fixe, rigide, immuable.
L’identité est toujours multiple, et si changeante, que l’on pourrait arriver à questionner son existence. Qui suis-je vraiment si mon état n’est qu’un incessant changement, une constante mutation de ce que j’étais à ce que je serai ? Un excellent essai.
Éditions Grasset
89 pages
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